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Innover face au paludisme : dialogue de recherche sur les défis et solutions

Publication de FID


22 septembre 2025


Analyse

Santé

Le 30 avril dernier, dans le sillage de la Journée Mondiale de lutte contre le paludisme, le FID et L’Initiative - Expertise France ont organisé un dialogue de recherche hybride sur les enjeux d’adoption et d’efficacité de solutions innovantes, en réponse aux défis actuels posés par la lutte contre le paludisme, soit : les défis liés au contrôle des vecteurs, pour juguler la transmission résiduelle du paludisme ; ceux relatifs au système de santé (saturation des centres de prise en charge, pénurie des ressources humaines en santé) et aux financements (contexte actuel de réduction des financements internationaux, soutien limité des gouvernements aux programmes de lutte contre le paludisme) ; les défis liés au changement climatique, qui nécessitent des outils adaptés d’un point de vue environnemental ; enfin, les défis biologiques, liés à l’apparition de résistances aux insecticides et aux médicaments antipaludéens.

Les projets mis en lumière

Les projets soutenus par le Fonds d’Innovation pour le Développement sont :

Les projets soutenus par L’Initiative :

Les quatre équipes de recherche ont été invitées à partager leurs apprentissages, les défis méthodologiques rencontrés et les premiers résultats de leur recherche.

Ce premier échange entre pairs a révélé des enjeux communs au-delà des contextes variés, mis en lumière les complémentarités des approches et innovations proposées, et a permis de lancer un dialogue interdisciplinaire entre équipes basées dans plusieurs pays d’Afrique. Ce type de dialogue s’est avéré utile pour poursuivre une lutte coordonnée contre la pandémie, en produisant une connaissance partagée au service du bien public.

Un besoin d’innovations et d’apprentissages collectifs accrus pour répondre aux défis actuels 

Face aux défis actuels du paludisme, les intervenant.e.s ont rappelé qu’il est essentiel de renforcer l’innovation par la mise en place de nouvelles solutions ancrées dans les pratiques des populations concernées par leur utilisation, mais aussi d’optimiser l’usage des solutions déjà existantes, en combinant les deux.

Ainsi, avec le soutien du FID, MAÏA Africa a créé un baume répulsif innovant et économique, intégré aux pratiques courantes au Burkina Faso, pour, notamment, lutter contre la résistance aux médicaments, en complément des moustiquaires traditionnelles. En Tanzanie, Kilimanjaro Christian Medical University College évalue l’efficacité comparée de peintures insecticides face à la résistance aux insecticides traditionnels. Au Bénin, le projet SUCOPPA de l’Université d’Abomey-Calavi soutenu par l’Initiative promeut une meilleure utilisation des moustiquaires selon les contextes locaux. Enfin, le Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire teste, avec TRAPNET, un nouveau modèle de moustiquaire-piège pour contrer la résistance des moustiques.

L’approche de l’innovation sous-tendant ces différents projets, partagée par le FID et L’Initiative, se veut large, à la fois technologique mais aussi sociale et organisationnelle, via l’attention portée aux méthodes de sensibilisation et d’organisation communautaires.

« Nous avons parlé d’innovations technologiques. Rappelons peut-être que la course effrénée à l’innovation n’est pas la solution, puisque de très nombreux outils efficaces sont déjà existants. L’innovation ça peut aussi consister à aller vers une meilleure mise en œuvre de ce qui existe déjà, et c’est aussi cela que nous préconisons à L’Initiative. » (Jane Deuve, L’Initiative)

L’échange entre les équipes de différents pays d’Afrique a aussi permis de mettre en lumière les conditions de transfert d’un contexte à l’autre, et a été source d’enseignements pour tout.es les participant.es. Si le caractère innovant et rigoureux des méthodes de comparaison entre peintures pesticides pour mieux lutter contre les vecteurs résistants aux insecticides actuels a été souligné par l’équipe MAIA, cette dernière a questionné aussi la dimension d’adaptation. Elle a ainsi posé la question de savoir s’il ne serait-il pas plus efficace et inclusif de concentrer les efforts sur un mur da'habitation et d’y attirer les moustiques, là où repeindre l’intégralité des murs de l’habitation pourrait s’avérer plus coûteux.

De même, le chercheur Chouaibou Mohamadou du Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire a souligné la limite de l’approche centrée sur les insecticides : « De nouveaux insecticides génèrent de nouvelles résistances, nous devons donc réfléchir “out of the box”. La solution alternative pourrait être un piège à moustiques.

A ce propos, l’Organisation Mondiale de la Santé préconise une [approche intégrée](https://www.who.int/fr/teams/global-malaria-programme/prevention/vector-control# :~ :text=L%27OMS%20recommande%20actuellement%20le,zones%20%C3%A0%20risque%20de%20paludisme) de la lutte contre le paludisme : elle recommande à la fois l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide et la pulvérisation d’insecticides à effet rémanent à l’intérieur des habitations dans les zones à risque, tout en insistant sur l’importance de prévenir et gérer la résistance aux insecticides. Pour cela, l’agence onusienne encourage le développement de nouvelles technologies et méthodes de lutte antivectorielle, ainsi que leur évaluation rigoureuse, seuls ou en combinaison, afin de déterminer leur place dans une stratégie globale de lutte contre la maladie.

Des étapes pour mesurer scientifiquement l’effet des solutions sur l’incidence du paludisme  : le test en laboratoire, en conditions médicales, puis réelles  

En Tanzanie, le projet Kilimandjaro développe une solution pilote de peinture insecticide dont la composition – utilisant des insecticides alternatifs aux pyréthrinoïdes – ainsi que le mode et le lieu d’application, directement sur les murs intérieurs des habitations, visent à contourner les résistances actuelles. L’idée est de tester si une solution déjà commercialisée aux Etats-Unis et en Europe pourrait être adaptée dans le contexte de la Tanzanie comme alternative ou complément aux campagnes de pulvérisation d’insecticides dans les domiciles. Potentiellement peu coûteuse et bien acceptée par les populations, cette solution pourrait s’inscrire naturellement dans les habitudes de construction et d’entretien des logements, sans nécessiter de changement de comportement majeur.

La première étape de cette recherche, de test en laboratoire, consiste à trouver la bonne formule pour permettre la plus grande efficacité possible de ces peintures dans le contexte tanzanien. L’équipe de recherche a ainsi comparé différentes formules biologiques d’insecticides, différentes surfaces et matériaux et durées d’application. Les résultats, encore intermédiaires, sont encourageants, notamment sur le suivi du taux de mortalité des moustiques de certaines des peintures testées.

En Côte d’Ivoire, le projet TrapNet a pu déjà démontrer son efficacité clinique en laboratoire et est désormais à une phase ultérieure de démonstration de son efficacité en conditions médicales. L’équipe de recherche a ainsi mené un essai pilote pour évaluer l’efficacité et l’acceptabilité d’un nouveau dispositif anti-paludisme de piégeage des moustiques, en comparaison avec l’utilisation des moustiquaires classiques.

L’étude, conduite dans le nord du pays, a mobilisé des méthodes la fois épidémiologiques, entomologiques et socio-anthropologiques, avec une attention particulière portée aux différences selon l’âge et le genre. Les résultats préliminaires ont montré un effet potentiel significatif sur la santé publique, notamment grâce à la capacité de TrapNet à :

  • renforcer l’efficacité de toute moustiquaire, même après plusieurs lavages ;
  • lutter contre la résistance aux insecticides en limitant la propagation des gènes résistants ;
  • fonctionner sans insecticide.

Le dispositif se distingue aussi par sa rentabilité : il ne nécessite ni nouvel insecticide, ni technologie complexe, et permet de réutiliser les moustiquaires existantes. Ces résultats ouvrent la voie à des études interventionnelles à plus grande échelle et à l’intégration de TrapNet dans les stratégies de lutte contre le paludisme dans divers contextes géographiques.

Sur ce dernier aspect, l’équipe de Maïa a suggéré une réflexion sur le design du piège, afin d’assurer son adoption et acceptabilité la plus large possible ; montrant ainsi les synergies indispensables entre équipes de recherche travaillant sur l’adoption et sur l’efficacité des solutions apportées.

Dans les cas présentés, les méthodes utilisées, sans pour autant relever d’études d’impact, permettent déjà de tester de manière rigoureuse l’efficacité d’une solution précise dans un contexte donné, en les comparant à d’autres usages et dispositifs. Ces méthodes contribuent donc à la production de données fiables en matière de lutte contre le paludisme.

Un apport nécessaire de la recherche pour assurer l’adoption des outils de lutte contre le paludisme

Comme l’a souligné Claire Bernard, Directrice adjointe du FID : « L’adoption par les populations des solutions est une condition essentielle d’efficacité et de déploiement des innovations testées, et la recherche a un rôle essentiel pour mesurer le degré et les formes d’appropriation. »

Or, pour mesurer cela, différentes approches et méthodologies de recherche sont utilisées, à différents moments des projets, ou de manière simultanée. Au Bénin, le projet SUCOPPA prolonge des recherches socio-anthropologiques (notamment le projet STRAPA) ayant révélé les causes majeures de la faible utilisation des outils de prévention du paludisme chez les femmes enceintes : un déficit de sensibilisation et la négligence d’un réservoir humain asymptomatique, pourtant clé dans la transmission. SUCOPPA combine deux volets d’étude relevant de deux disciplines distinctes :

  • Un volet socio-anthropologique visant à décrire et analyser les connaissances et pratiques en matière de risque et de prévention du paludisme en communauté (femmes enceintes, femmes récemment accouchées et les enfants en âge scolaire), à étudier les outils de sensibilisation communautaires existants mis en œuvre par les acteurs locaux et l’acceptabilité d’une nouvelle intervention coconstruite avec les populations locales.
  • Un volet d’étude entomologique visant à mesurer la transmission entomologique, étudier la résistance des vecteurs aux insecticides et la contribution des porteurs asymptomatiques à la transmission.

Au Burkina Faso, le projet DIMORO a mesuré, via une large enquête socio-anthropologique sur les pratiques sanitaires quotidiennes de 1000 foyers, la propension des familles à utiliser le baume répulsif. Une approche plus qualitative, communautaire et participative a ensuite permis d’adapter le produit aux préférences sensorielles des mères, tandis qu’une collaboration avec des entomologistes africains a garanti son efficacité et sa sécurité.

L’équipe a ensuite fait appel à des économistes de l’Université Paris Dauphine, pour que celle-ci réalise une évaluation d’impact randomisée afin de mesurer précisément la propension à payer des populations et l’impact de fluctuations du prix sur les pratiques d’adoption de la pommade.

La vidéo suivante retrace la mobilisation de ces phases de recherche successives durant le projet.

La collaboration recherche - équipe projet, un exemple avec un projet de lutte contre le paludisme

Les résultats de l’évaluation d’impact renseignent les conditions, le degré et les formes d’adoption de la pommade en fonction du prix mais, aussi du point de vue de la complémentarité de l’utilisation d’autres dispositifs, en montrant notamment que :

  • Un prix élevé décourage l’achat mais aussi l’utilisation durable de la pommade.
  • A postériori, pour les ménages ayant bénéficié de la gratuité, l’utilisation de la pommade est plus élevée.
  • Les ménages ont bien perçu que la pommade était complémentaire à d’autres dispositifs de prévention ou de protection : le recours aux moustiquaires reste élevé, cependant, la pommade tend à remplacer le recours aux spirales et serpentins. Dans les contextes de nécessité de restrictions, les ménages tendent à privilégier les enfants pour l’application de la pommade.

Dans chaque projet présenté, les études menées fournissent des preuves scientifiques et des éléments-clés de compréhension sur les degrés et les formes d’appropriation des solutions par les populations ciblées. Ces résultats permettent soit d’informer un passage à l’échelle, comme pour MAÏA, soit la mise en place d’actions de sensibilisation mieux adaptées aux contextes locaux et aux publics, comme avec SUCOPPA.

« Ce que l’on voit à travers ces échanges c’est l’importance de combiner les approches pluridisciplinaires et de croiser les regards, les regards d’épidémiologistes mais aussi d’anthropologues pour bien comprendre les usages, les pratiques, et les regards d’économistes sur l’adoption en fonction du prix. On voit l’intérêt d’avoir ces regards croisés sur une, plusieurs solutions. »
Claire Bernard, FID.

Le dialogue entre équipes de recherche de diverses disciplines parait aussi utile pour surmonter des défis méthodologiques communs, notamment le biais lié aux déclarations auto-rapportées sur l’adoption des solutions. Pour y répondre, l’équipe du projet MAÏA a croisé plusieurs sources de données – utilisation effective des pots, registres, et comparaison avec les déclarations – afin d’objectiver les résultats ; une méthode transposable à d’autres contextes. La recherche, notamment en épidémiologie, joue aussi un rôle essentiel pour évaluer l’efficacité à court, long et moyen termes d’une solution sur l’incidence du paludisme.

Les discussions se poursuivront à l’issue du séminaire entre les équipes de recherche autour du transfert des innovations et des approches, ainsi que des méthodologies de recherche.

« Ce fut un très fructueux moment d'échanges. Ce séminaire servira de catalyseur pour des interactions et collaborations futures qui permettront davantage d'innovations dans la lutte contre le paludisme voire la lutte contre les autres maladies à transmission vectorielle. » (Armel Djenontin, Université d’Abomey-Calavi, Bénin)

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22 septembre 2025

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